Manager des mauvais, c’est quand même plus facile!
Le titre de ce billet m’a été soufflé par un « manager » rencontré la semaine passée… Merci à lui, il m’a inspiré cette petite histoire dont toute ressemblance avec la réalité ne serait évidemment pas fortuite du tout! Malheureusement.
Imaginons la situation suivante :
Vous avez deux enfants, frères jumeaux, qui ont le même caractère et les mêmes qualités. Ils viennent tous les deux d’obtenir le même diplôme et décident d’embrasser la même carrière commerciale dans la même entreprise avec le même enthousiasme. Après quelques entretiens et tests de recrutements avec leur manager, ils sont tous les deux retenus et très heureux de recevoir le même jour leur lettre d’embauche dans la même société. (évidemment vous pouvez imaginer qu’il s’agit d’une banque, d’une société de travail temporaire, d’une compagnie d’assurance, d’une SSII… quel que soit le secteur le principe est le même …)
Votre premier fils est affecté à l’agence du 17ème arrondissement, le deuxième à celle du 16ème. Jusque là tout va bien. Les agences se ressemblent, les marchés sont exactement les mêmes, les rémunérations identiques, les horaires semblables. Pour des jumeaux, c’est cool……
Quelques semaines s’écoulent…
et vous constatez rapidement des divergences d’opinion. L’engagement de l’un pour son boulot contraste avec la distance prise par l’autre. Vous décidez de mener l’enquête !
- Le premier est ravi, motivé comme au premier jour. Quand vous lui demandez ce qu’il apprécie dans son job il vous répond : C’est super, il y a une bonne ambiance, j’apprends plein de trucs, et j’ai un boss génial !
- Et quand vous posez la même question au deuxième, la réponse est directe : Mon boss est un con, l’ambiance est nulle et je n’apprends rien…..
Et voilà, en quelques mots, vos enfants viennent de vous rappeler le rôle essentiel du manager direct dans la motivation au travail. L’entreprise a beau être la même, le manager de proximité a un rôle fondamental, primordial, essentiel dans l’apprentissage, la progression et la motivation de ces jeunes recrues…
Vous décidez de ne pas en rester là ! Aller à la rencontre des deux managers concernés vous donnera sans doute un éclairage plus précis. Vous vous inventez donc une fausse identité et décidez de prendre rendez-vous avec ces deux managers pour leur demander leur avis sur le management des jeunes d’aujourd’hui !
Le bonheur ne suit pas la performance, il la précède !
Commençons par quelques extraits du dialogue avec le premier manager, celui que votre fils qualifie de génial :
Vous : Je fais une enquête sur le management des jeunes générations. Beaucoup de managers disent que c’est difficile. Surtout avec les jeunes diplômés qui ont un excellent bagage. Qu’en pensez-vous ?
Lui : ???? Pardon ? Mais c’est génial d’avoir des jeunes dans l’équipe. Ils apportent du sang neuf, ils comprennent vite, et sont capables de développer une énergie incroyable.
Vous : Oui, mais quand même, la génération Y, c’est dur dur non ?
Lui : Pourquoi, vous me prenez pour la génération has been ? Vous savez, les principes de management sont toujours les mêmes, quelles que soient les générations.
Vous : Ah bon, alors si c’est si simple, vous pouvez me donner des exemples de recette miracle ?
Lui : Pas de miracle, juste du bon sens et quelques principes : Respect, exigence, reconnaissance.
Vous : Mais certains disent que cela ne sert à rien de s’impliquer, car de toutes façons ils zappent tout le temps, et s’ils sont doués, une fois formés ils s’en iront !…
Lui : Et alors ? S’ils doivent partir un jour, je préfère autant qu’ils partent meilleurs qu’ils ne sont arrivés. Ainsi, tout le monde sera gagnant. Pourquoi? Vous préfèreriez que je les rende plus mauvais pour qu’ils restent avec moi ?…
Vous : Non, non pas du tout, c’est simplement que d’autres n’ont pas fatalement le même raisonnement… Bon, allez je vous laisse. Si je reviens vous voir, vous pourrez m’expliquer dans le détail comment vous déclinez tout cela ?
Lui : Promis, revenez quand vous voulez.
Finalement vous êtes moins étonné par l’enthousiasme de votre fils pour ce manager. Vous aussi, vous aimeriez travailler avec lui. On sent qu’il prend du plaisir à faire grandir les gens. En partant, vous jetez un œil indiscret derrière son bureau. Une petite phrase encadrée attire votre attention : « Le bonheur ne suit pas la performance, il la précède ! »
Manager des mauvais, c’est plus simple !
Quelques minutes plus tard, vous rencontrez avec le même prétexte et le même alibi le deuxième manager…
Vous : Je fais une enquête sur le management des jeunes générations. Beaucoup de managers disent que c’est difficile. Surtout avec les jeunes diplômés qui ont un excellent bagage. Qu’en pensez-vous ?
Lui : Je ne vous le fais pas dire. Ils veulent tout, tout de suite. Moi je n’étais pas aussi exigeant. De mon temps, on ne la ramenait pas autant.
Vous : Quand vous dites « qu’il la ramène » vous pensez à quoi ?
Lui : A peine arrivé, ils veulent déjà savoir ce que sera la prochaine étape. Et puis ils mettent une sale ambiance dans l’équipe. Les autres se sentent perturbés. C’est bien d’être brillant et de vouloir tout casser, mais moi j’ai une équipe à gérer et je ne peux pas faire de différences.
Vous : Mais si ils sont brillants, ils peuvent peut être vous aider à réussir ?
Lui : Vous savez, plus ils sont brillants plus ils sont durs à manager. Là c’est vraiment dur. Manager des mauvais c’est plus simple. Avec eux on n’a pas de problème.
Vous : ???? Vous n’en croyez pas vos oreilles…
Lui : Quoi, ça vous étonne ? Qu’est-ce que vous voulez que je fasse avec un jeune qui à peine arrivé à déjà l’ambition de prendre ma place ?
Vous : Vous êtes certain qu’il raisonne comme cela ?
Lui : Vous, on voit bien que vous ne les connaissez pas… Tout le monde sait que les jeunes de la « Génération Y » sont impossibles à manager. Il y en a même un qui est venu me dire qu’il trouvait que l’ambiance de l’agence n’était pas top, et qu’il n’apprenait pas assez de choses… Moi, de mon temps, je n’aurais jamais osé.
Vous : Et qu’est-ce que vous lui avez répondu ?
Lui : vous allez rire… Je lui ai dis : Ici, ce n’est pas le Club Med ! On n’est pas là pour rigoler, on est là pour bosser. Point barre. Et si vous avez besoin d’être aimé, achetez vous un chien…Personnellement, j’en ai deux ! C’est drôle non ?
Vous : Merci beaucoup, je crois que j’ai compris
Lui : Qu’est-ce que vous avez compris ?
Vous : Je viens de comprendre le sens d’une expression qu’on entend de plus en plus et qui correspond bien à ce que pense mon fils
Lui : ??
Vous : « On choisit une entreprise, et on quitte un chef »
Finalement, là aussi vous êtes rassuré.
C’est plutôt sain que votre fils ne souhaite pas rester plus longtemps avec un manager pareil. En partant, vous jetez un œil indiscret derrière son bureau.
Au delà de l’anecdote (j’ai vraiment entendu un manager me dire qu’il trouvait plus facile de manager des mauvais… ) il me semble vraiment important que les Dirigeants prennent conscience du rôle primordial des managers de proximité dans l’intégration et la réussite des nouveaux embauchés. A l’heure où les bons commerciaux se font rares, où les plus anciens partent à la retraite (la démographie impose à nombre d’entreprise un renouvellement profond de ses équipes) la fidélisation des meilleurs potentiels est une priorité. Les critères d’évaluation des managers de proximité devraient sans doute davantage en tenir compte.
Il ne suffit pas de dire aux gens : bonne chance ! Il faut la leur offrir.
Daniel Boulanger
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