
Vente à l’international Lost in translation… ou pas !

En tant que responsable du développement d’Halifax en Amérique du Sud, basée au Chili, vous ne serez pas étonnés si ma première contribution au Grand Blog de la Vente porte sur la vente à l’international.
Mais pour ce premier article, je ne vous parlerai pas du Chili.
Je vais partager avec vous ma première expérience commerciale à l’international et les enseignements que j’en ai tirés. Je vais revenir quelques années en arrière. Et je vais vous raconter mon tout premier voyage commercial au Japon. C’était pour l’implémentation d’un projet corporate, pour le compte du groupe pharmaceutique international pour lequel je travaillais. Il s’agissait d’une nouvelle plateforme commerciale. Elle avait été testée avec succès dans plusieurs pays européens et aux États-Unis. Le Japon était donc notre prochain projet.
Mes collègues et moi avions eu la chance d’être ‘briefés’ à l’avance sur des éléments de contexte (système de santé japonais, ‘habitudes de prescription’ des médecins, activités des délégués médicaux…) ainsi que sur les différences culturelles auxquelles nous pouvions nous attendre (par exemple, le rituel de la carte de visite, le fait qu’on soit appelé par son nom de famille suivi de « San » en signe de respect, le fait qu’il ne faille pas parler fort ou montrer ses émotions…).
Nos vidéoconférences de préparation avec l’équipe projet locale s’étaient très bien déroulées. Nous arrivions donc confiants à Osaka, et durant les deux jours que nous allions passer sur place, nous comptions bien présenter le projet aux décideurs Japonais et préparer avec leurs équipes l’implémentation locale.
Le Jour J : Nous nous installons dans la salle de réunion.
Les équipes de traduction simultanée sont en place… bizarre… les personnes que nous avions eues au téléphone – Asako, Taeko et Ikake – qui parlaient toutes anglais sont introuvables.
Nous sommes face à un parterre 100% masculin, portant tous le même costume impeccable et observant nos moindres faits et gestes. Nous avons préparé nos cartes de visite, le tour de table des présentations commence. Nos interlocuteurs japonais sont tous des directeurs (nous comprenons grâce à la traduction simultanée et surtout au ton employé par les traductrices – qui elles sont toutes des femmes – que les hommes que nous avons en face de nous ont beaucoup de pouvoir et sont très respectés). Ils se présentent et prennent notre carte de visite des deux mains, en nous regardant droit dans les yeux, puis ils la posent devant eux.
Le ton est donné, très formel et très solennel, la présentation débute.
Les traductrices nous demandent de parler très lentement pour qu’elles aient le temps de traduire. Au bout de 20min de présentation, je me rends compte que la moitié de l’audience a les yeux fermés… sont-ils assoupis ? C’est vrai qu’on vient juste de déjeuner mais quand-même… de temps à autre, l’un d’entre eux semble se réveiller puis replonger immédiatement dans sa torpeur.
40min plus tard, la présentation achevée, un peu soulagés, nous donnons la parole au groupe pour des questions. Nous nous attendons à des demandes de détails sur l’implémentation ou les résultats dans les pays pilotes. Rien, pas une question. Nous essayons donc de les provoquer un peu. « Est-ce que tout était bien clair ? » « Comment trouvez-vous le projet ? » « Quelle est votre vision de l’implémentation de ce projet au Japon ? » mais toujours pas de réponse. Au bout de quelques minutes de silence, une question est posée : pas à nous, mais à un autre membre du groupe. Immédiatement, elle génère un vif débat entre les participants. Malheureusement, nous ne saurons pas ce qu’il en retournait, car les traductrices ont ‘omis’ de traduire ce passage. Et quand à la pause, nous avons demandé aux traductrices, elles se sont contentées de nous répondre : « ils ont dit qu’ils étaient d’accord ».
Le plus ‘gradé’ de l’auditoire a mis fin à la session. Il nous a remerciés pour notre présentation et nous a annoncé qu’il allait se réunir avec son équipe pour en discuter.
Voilà, c’était fini, nous étions renvoyés dans notre chambre d’hôtel.
Le lendemain nous devons rencontrer l’équipe projet, celle en charge de l’implémentation. C’est le cas, mais nous rendons compte rapidement que nous n’irons nulle part. Le cadre du projet n’est pas clair, manifestement nos interlocuteurs attendent les décisions de leur management.
Nous repartons donc du Japon sans avoir atteint aucun de nos objectifs, mais sans vraiment comprendre pourquoi : nous avions appliqué les mêmes méthodes que lors des pilotes en Europe et aux Etats-Unis, tout en tenant compte des spécificités du marché japonais…
Voilà tout ce que nous comprendrons beaucoup plus tard :
Nos ‘contacts’ préliminaires au Japon n’étaient en fait que des assistantes. C’est uniquement parce qu’elles parlaient anglais qu’elles avaient préparé la réunion avec nous. Mais en fait elles n’ont aucun pouvoir décisionnaire et ne font même pas partie de l’équipe d’implémentation. De plus ce sont des femmes, donc si elles veulent un jour espérer accéder à un poste à responsabilité, elles devront faire deux fois plus d’efforts qu’un homme. La société japonaise est très masculine et le taux d’activité féminine est bas. Nous aurions donc dû nous méfier de n’être en contact qu’avec des femmes avant la réunion.
Nos interlocuteurs ne posent pas les cartes de visite dans n’importe quel ordre… car ils ont tous le même : les directeurs en premier, puis les chefs d’équipe, puis les chefs de projet. S’ils ont véritablement besoin de précisions ils ne demanderont qu’à notre chef.
Fermer les yeux est pour eux un moyen de se concentrer sur le speech du présentateur. Ils ne dorment pas du tout, ils écoutent TRES attentivement et notent mentalement chaque détail.
Les traductrices nous diront à la sortie que malgré nos efforts pour suivre un rythme de parole fortement ralenti, elles n’auront pu traduire que le tiers de nos propos… nous espérons que ce soit le bon tiers…
Dans la culture asiatique et japonaise en particulier, perdre la face est très grave.
De plus, il est très mal vu de dire ‘non’, de montrer ouvertement son désaccord. Donc, montrer aux présentateurs que leur présentation peut générer un débat interne, sur lequel les japonais ne sont pas d’accord, est inenvisageable… d’où la réaction des traductrices : « ils sont d’accord. Pas de question.»
Les Japonais ne prennent JAMAIS une décision à chaud et JAMAIS sans avoir obtenu le consentement de toute l’équipe et éclairci TOUS les doutes. Plus de 2 semaines après notre passage, nous avons reçu un mail d’environ 5 pages, listant toutes les questions qu’ils avaient suite à notre présentation. Cela nous a permis de constater qu’ils avaient été très attentifs durant la présentation…
Nous avons envoyé une réponse détaillée à notre tour, puis avons attendu leurs réactions.
Après plusieurs échanges et certainement de longues réunions au Japon, le ‘oui’ définitif est arrivé presque deux mois après notre visite. Nous pensions donc être en retard sur notre planning, car nous avions ‘perdu’ plus d’un mois et demi. Mais dans la mentalité japonaise, ce temps-là n’est pas perdu… les allers retours et questions-réponses en amont permettent une implémentation beaucoup plus rapide… et ça a été le cas. Nous sommes retournés au Japon, cette fois-ci une semaine, pour travailler dans le détail avec l’équipe implémentation. Tout avait été prévu et décanté en amont… Une fois la décision prise et la direction donnée par le top management, l’implémentation au Japon a été la plus rapide que nous ayons jamais connue pour ce projet à l’international…
Cette anecdote extrême – la culture japonaise est l’une des plus éloignées de la nôtre – montre l’impact des différences culturelles. Ces différences, dans les méthodes de travail et le savoir-faire, peuvent bouleverser nos repères et faire échouer un projet. Aujourd’hui, dans une économie globalisée, les commerciaux de grands groupes sont souvent confrontés à des situations commerciales multiculturelles. On ne peut pas tout connaître sur toutes les cultures, donc on fera forcément des erreurs à un moment. Nos interlocuteurs le savent et nous pardonneront, sauf en cas d’impair très grave. Cependant, il y a des règles de base à appliquer pour mieux se préparer à ces situations.
Voici quelques pistes de réflexion et conseils pour vous préparer au mieux à ces échanges interculturels :
Préparer, préparer, préparer :
C’est vrai pour n’importe quel projet commercial, mais encore plus dans un environnement international et interculturel. Renseignez-vous sur les spécificités culturelles de vos interlocuteurs, leurs façons de travailler et les environnements locaux. Envoyez des documents à l’avance et faites réagir en amont pour ‘tâter le terrain’. Vous pourrez analyser les réactions et obtenir des informations sur le niveau de maturité, la motivation et l’expérience de votre interlocuteur. Organisez-vous pour privilégier le face à face.
La communication est plus compliquée quand il y a une différence culturelle, surtout dans une langue étrangère. Le face à face est toujours mieux que la vidéoconférence, qui est mieux que le téléphone. Cela vous permet d’analyser le langage non-verbal en plus des mots et de décoder plus de réactions de votre interlocuteur international. Préparez-vous avec un calendrier réaliste. Donnez-vous du temps : d’abord convaincre, puis implémenter, ensuite mesurer. Soyez patient et validez chaque étape avant de passer à la suivante, encore plus que pour un projet classique.
Soigner sa communication à l’international
Soyez concis, surtout avec une traduction : concentrez-vous sur les messages clés à faire passer. Ne vous perdez pas dans des détails compliqués, vous allez perdre votre audience. Répétez plusieurs fois le même message : en temps normal, un message doit être répété 7 fois pour être mémorisé. Imaginez un message nouveau, dans une langue étrangère, parmi 20 autres messages. Sélectionnez vos exemples, anecdotes et illustrations avec soin. Vous aimez le hockey sur glace ? Tant mieux, mais dans certains pays, ce sport est inconnu.
Attention à vos exemples et références : programmes TV, films et blagues. L’humour est à manier avec parcimonie dans un contexte international, il n’est pas toujours compris. Faites attention à ce que vos interlocuteurs ne rient pas jaune. Méfiez-vous des expressions idiomatiques, très difficiles à traduire. Provoquez les questions et réactions : une réunion commerciale sans question ou objection est dangereuse. Deux cas : soit votre interlocuteur n’a aucun intérêt pour votre offre, soit il a tellement de questions qu’il ne sait pas par où commencer et a peur de perdre la face. Faites des pauses régulières pendant votre présentation et ouvrez la boîte à questions. Dans certaines cultures, il est mal vu d’interrompre, donc laissez suffisamment de temps à votre audience. Si toujours rien, ne poussez pas trop à la décision, proposez un temps de réflexion.
Accepter les différences
Ce dernier conseil est peut-être le plus important. Il est essentiel de ne pas juger… à l’international, toutes les cultures sont différentes, mais elles ont leurs richesses, leurs qualités et leurs défauts… pour y arriver, vous devez accepter les différences de votre interlocuteur, essayer de les comprendre au mieux, de les anticiper quand c’est possible et de les intégrer à votre relation de travail avec lui (par exemple si vous savez qu’un de vos contacts est systématiquement en retard, donnez-lui une deadline anticipée… sans lui dire qu’elle l’est !). Montrez votre bonne volonté en apprenant quelques mots de la langue de votre interlocuteur et en les utilisant… Mais attention il faut savoir aussi rester ferme… vous acceptez la culture de votre interlocuteur, il doit accepter la vôtre !
Voilà, j’espère que cet article vous sera utile si vous préparez votre premier voyage d’affaires à l’international. Mais si vous êtes déjà un vieux routier du business mondial, vous avez sans doute des anecdotes ‘lost in translation’ à nous raconter ?? N’hésitez pas à les partager avec nous !!
Bon business à tous !
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