Diriger ses équipes commerciales en période de crise
J’ai commencé ma carrière comme commercial terrain chez Xerox, au printemps 1990. Je venais de terminer mes études. À peine arrivé en entreprise, la guerre du Golfe éclate. Ce conflit oppose, du 2 août 1990 au 28 février 1991, l’Irak à une coalition de 35 États dirigée par les États-Unis. Pour la première fois, nous voyions la guerre à la télévision avec CNN. Les opérations « Bouclier du Désert » et « Tempête du Désert » passaient en boucle. Cela nous fascinait ou nous tétanisait, selon les personnes.
Cette période se terminera par la crise du système monétaire européen de 1992. S’en suivra une grave récession économique en 1993, presque aussi sévère que celle de 2009. Ce fut une période très compliquée et longue.
J’ai une pensée pour les jeunes générations qui arrivent aujourd’hui sur le marché du travail. Le contexte est tout aussi angoissant. Notre président n’a-t-il pas parlé de guerre, d’ailleurs ? La situation du Covid-19 crée un sentiment de peur et d’appréhension similaire à celui que j’ai ressenti à l’époque. La peur est une mauvaise conseillère, surtout dans le management des ventes. Heureusement, à cette époque, j’ai été bien managé. J’ai appris qu’il ne s’agit pas de faire plus, mais de faire différemment.
Ce qui fonctionne en période économique favorable ne marche pas en temps de crise. Environ un tiers des commerciaux n’ont jamais vendu en période de crise aiguë. Beaucoup d’entreprises ne peuvent donc pas s’appuyer sur l’expérience de leur équipe de vente. Voici quelques conseils que j’ai toujours cherché à appliquer dans les moments difficiles.
Lors d’une crise, ne pas essayer de compenser par de la suractivité
Lorsque les dirigeants ont peur, ils peuvent facilement être tentés de mettre la pression sur l’activité. Le côté mécanique de la vente peut rassurer : plus d’appels ou de contacts, c’est plus d’opportunités et plus de ventes. Dans certains contextes, cela peut fonctionner, surtout avec un produit simple et un cycle de vente court. Mais si votre offre est sophistiquée et vendue comme solution ou en utilisant une approche conseil, l’augmentation des appels peut se retourner contre vous.
Ces phénomènes ont été observés ces dernières semaines dans différents marchés. Dans certains secteurs, les clients étaient injoignables, trop occupés par la crise sanitaire. Ces cibles injoignables ont coûté beaucoup de ressources à ceux qui cherchaient à les joindre. Dans d’autres secteurs, les clients avec assez de cash étaient contents d’être sollicités et cherchaient les bonnes affaires. Les vendeurs cherchaient à conclure tous les deals possibles, mais le volume moyen en marge a diminué et la taille des commandes a baissé.
Au lieu d’encourager l’augmentation d’activité tout azimut, orientez rigoureusement votre stratégie commerciale vers vos cibles client privilégiées.
La segmentation des clients devient une nouvelle urgence. Ciblez ceux qui sont disponibles et sensibles à la valeur de vos offres. Évitez ceux qui ont des coupes sombres dans leurs budgets. Canalisez tous vos efforts vers des opportunités remarquables. Cela est plus payant que de partir dans tous les sens. Un mauvais prospect en temps normal ne devient jamais un bon client.
En temps de crise, un mauvais prospect est une calamité. Vous perdez du temps, de la marge et de la motivation. Sous la pression, commerciaux et managers hésitent à laisser de côté une opportunité faible. Ne courez pas après des affaires faciles avec trop de prospects. Concentrez vos équipes sur la sélection d’opportunités qualifiées. Ciblez des solutions à forte valeur ajoutée. Ou ciblez de petites affaires avec des clients à fort potentiel.
En temps de crise, les cartes sont rebattues, les changements de fournisseur possibles. Soyez pro actifs, choisissez vos clients de demain. Éliminez l’activité pour l’activité, mais triez, sélectionnez, segmentez.
Alléger, annuler, simplifier le reporting quantitatif
La peur se manifeste également par des exigences supplémentaires et parfois excessives en matière de reporting. Si les dirigeants demandent en permanence plus d’informations sur ce qui se passe, leur vrai objectif est simplement de se rassurer. En matière de management commercial, ce contrôle est illusoire et souvent contre-productif. La mise en place d’une nouvelle série de mesures pour suivre ce qui se passe ou l’augmentation de la fréquence des rapports de prévision des ventes a souvent pour effet secondaire la paralysie des activités réellement génératrices de revenus.
Trop d’énergie est consacrée à la collecte des données, leur vérification et correction, ce qui laisse moins de temps et d’énergie pour le travail de vente. Il faut chercher à améliorer l’efficacité des ventes et non pas chercher à améliorer le contrôle et l’inspection des ventes. Vous devez au contraire élever votre niveau d’exigence sur la façon de conduire efficacement l’acte de vente.
Vos commerciaux ont-ils vraiment une bonne connaissance et compréhension des clients qu’ils ciblent
Ou restent-ils dans une approche générique et transactionnelle avec peu de compréhension du client ? Maîtrisent-ils leur proposition de valeur et comment l’argumenter en fonction des décideurs ? Sont-ils agiles face au changement de contexte sur leurs nouvelles cibles de clients ou d’offres, ont-ils intégré les nouvelles façons de présenter vos offres en temps de crise ? …
Pour cela quelques indicateurs avancés vous permettront d’aller loin, tels que : les nouvelles opportunités sur les cibles appropriées à chaque étape, la valeur des opportunités et leur progression à l’étape suivante. Là aussi inutile de regarder cela trop fréquemment soyez réalistes. Tout ce que vous imposerez en plus rajoutera du temps administratif non productif à vos commerciaux.
Au moment où ils viennent de gagner 15% de leur temps de travail en n’ayant plus à se déplacer pour voir les clients, ne leur « spoilez » pas ce temps avec plus d’administratif. Mais soyez exigeants sur les sauts qualitatifs qu’ils doivent faire. Tout esprit procédurier ralentit l’organisation qui perd son agilité et son orientation résultat en des tâches inutiles plutôt que de coacher et faire grandir les équipes à un moment clé où les affaires vont devenir plus rares et « bagarrées ». Le fait que vos commerciaux soient meilleurs que ceux de vos concurrents se verra plus dans les résultats en temps de crise que quand les affaires rentrent sans trop de difficultés.
Concentrez-vous sur les premières étapes du pipeline plutôt que de vous focaliser sur les ultimes négociations
Là aussi les managers et les dirigeants, soucieux de leurs revenus se concentrent naturellement sur les dernières étapes du process, ce qu’on appelle « la proximité de l’argent ». Après tout, lorsque vous luttez pour votre survie, il parait logique de faire tout votre possible pour faire tomber les affaires. Malheureusement, se concentrer sur les dernières étapes du cycle de vente, où une décision est déjà imminente, n’est pas le plus malin.
Tout d’abord, cela a rarement un impact significatif sur vos résultats puisque les discussions préalables sans vous ont déjà orienté l’essentiel de la négociation finale : les produits, les conditions importantes et les prix sont déjà en partie figés. Une exception ici ou là peut aider à finaliser un accord, mais il est souvent trop tard pour apporter des changements de véritable valeur. Au pire même, le dirigeant qui cherchera à montrer son autorité lâchera peut-être quelques efforts supplémentaires inutiles en marge. En outre, les réactions de certains clients peuvent aussi être négatives, certains interprétant cela comme une pression malvenue sur eux.
Le fait de se concentrer de manière irréfléchie sur les affaires en phase de closing se traduit (encore pire) par des opportunités manquées au cours des premières étapes du processus de vente.
Or c’est là que vous avez le plus grand potentiel pour renforcer les affaires et minimiser les effets d’une récession. Au cours des premières étapes, des besoins supplémentaires peuvent être mieux identifiés, des enjeux clients mieux compris par votre expérience.
En outre, le fait de faire comprendre en amont les concepts de vos solutions aux décideurs appropriés peut aussi accélérer le cycle de vente. C’est le début du processus de vente qui vous permet de créer de la valeur et de vous démarquer de la concurrence, ce qui facilitera en plus les négociations finales. Les dirigeants doivent se concentrer sur le démarrage des opportunités, où ils peuvent faire une différence dans tous les domaines, de la stratégie de compte à l’allocation des ressources et aux relations avec les clients au niveau de la direction.
Il est normal que les managers ressentent de l’anxiété quant aux résultats court terme, surtout en période de crise comme celle que nous traversons tous actuellement dont tout laisse à penser qu’elle va durer. Mais plutôt que d’adopter une approche fondée sur la peur, pariez sur la qualité. Investissez votre temps, vos ressources de façon ciblée sur les clients et prospects de choix, participez activement aux discussions prometteuses en amont plutôt qu’aux marchandages, employez-vous à faire grandir vos équipes dans leur niveau de discours plutôt qu’à les contrôler. Et cela est un moteur puissant pour transformer vos approches commerciales, y compris quand la crise sera finie.
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